Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
MERLIN L’ENCHANTEUR.

XVII

MERLIN À VIVIANE.

Rien ne ressemble moins à tes lettres que toi-même, Viviane. Tu regardes, en écrivant, certaines caresses de langage comme une douce musique qui n’a point de signification précise et n’engage à rien celle qui les laisse romanesquement tomber de sa plume de rossignol. Pour moi, je ne crois plus aux mots ; ils ont tous à mes oreilles le même sens : douleur !

Une fois, en ma vie, la science que je cultive m’a été véritablement utile. Par elle, j’ai découvert la cause de mes maux. Toi et moi, nous n’appartenons pas au même monde, au même peuple, à la même race d’êtres. Nous ne parlons pas la même langue. Les mots qui partent de mon cœur n’ont pas de sens pour toi. Ils sortent brûlants de mes lèvres : ils glissent sur ton âme et s’y glacent sans la pénétrer, comme l’eau du torrent de Ruti sur l’aile du cygne.

Vis donc, puisque tu l’as préféré, sans enchantement, sans élan, sans génie. Refais ce qui a été fait cent fois. Traîne-toi dans l’imitation du monde. Garde-toi, comme d’une impiété, de toute désobéissance à la routine séculaire. Règle-toi sur les nobles conseillers de ta marraine, sur ses chambellans, ses courtisans. Qu’ils te