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LIVRE XIII.

mêlées, ô Merlin, il me reste encore le goût de la tienne sur mes lèvres. Nulle éternité ne pourra l’enlever.

Ni les jours ni les siècles ne me feront oublier les nuits étincelantes, quand ta main dans ma main, nous comptions ensemble les étoiles. M’accusais-tu alors de dormir du sommeil des plantes ?

D’où te vient cette fureur qui le pousse à me déchirer ? Mais j’ai tort, Merlin. Pardonne-moi ce mot ; il vaut mieux pleurer. Quoi ! lorsque tes yeux s’arrêtaient sur mes yeux, lorsque nous lisions ensemble dans le livre magique, lorsque tu cueillais la verveine que mes pieds avaient foulée, que le matin tu me retrouvais en ouvrant ta paupière, que tu criais : « félicité ! félicité ! » quoi ! tu n’étais pas heureux !

Ne peux-tu donc oublier, pardonner un moment (caprice, erreur, fantaisie, je ne sais moi-même comment le nommer) ? N’y a-t-il point de miséricorde dans le cœur des enchanteurs ? Ma marraine pourrait te dire combien elle me trouve changée ; beaucoup de gens ont peine à me reconnaître.

Perdrons-nous toutes les éternités à cause d’une heure de mésintelligence ? Il n’est pas étonnant, Merlin, qu’avec des habitudes, des éducations si différentes, il y ait eu entre nous un instant difficile, un seul. Cela arrive à tout le monde. Aujourd’hui que je te connais mieux, il en serait autrement, je le jure. Mais, hélas ! il est trop tard, et c’est à toi maintenant d’être inflexible.