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MERLIN L’ENCHANTEUR.

le plus grand, tous voulaient également, avec la même frénésie, être le roi de l’enfer. Et chacun de rugir : « Prenez garde ! il y a ici des anges déguisés. »

Ce fut alors une succession non interrompue de tyrans de l’abîme qui passaient sur ce trône où nul ne pouvait se maintenir plus d’un moment. À peine l’un d’eux s’était-il montré, il était renversé et déchiré par la foule. Mais, bien qu’il n’eût qu’un instant, il en profitait pour changer le vieil ordre établi dans les tortures, en sorte que le mal se ravivait d’heure en heure ; il changeait et se renouvelait, comme la roue d’un char entraîné par des chevaux ailés. Les supplices se succédaient avec une rapidité prodigieuse, ou plutôt ils étaient infligés, tous à la fois, au même moment, à chacun des damnés. Un long cri s’éleva. Tous les misérables disaient : « Où est l’ancien roi des douleurs ? Son règne était plus juste. »

Et rien au monde ne peut donner une idée de la force de l’enfer tournée contre l’enfer ; il mettait à se détruire lui-même cent fois plus de fureur qu’il n’en mit jamais à détruire l’œuvre d’en haut, car il était dupe de tous ses piéges ; les plus grossiers étaient ceux qui lui plaisaient le plus. Il tombait infailliblement dans toutes ses embûches.

Alors le plus chétif, le plus impuissant des démons, toujours rampant, toujours ricanant, Malacoda, s’écrie de sa voix sifflante :

« C’est à moi de régner.

— Non, répond Taillecosse, c’est à moi !