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MERLIN L’ENCHANTEUR.

déjà !… Quoi ! sitôt !… Les jours, les années éternelles que je me promettais avec toi dans notre île d’Avalon, je les vois qui s’effacent l’une après l’autre ; à leur place, il reste des tombes couvertes d’une neige que ne dissipera aucun souffle du midi. Ces tombes géantes où s’ensevelit toute joie, est-ce là mon sépulcre et le tien ?

Où sont maintenant les chasses bruyantes de ma marraine, les hallali, les cortéges de cavaliers, les meutes haletantes, les chevaux hennissants qui passaient au galop sur les sommets ? Où sont-ils, reviendront-ils jamais ? Ah ! si j’apercevais seulement la poussière fumante sous les pas de mon bien-aimé ! Pourquoi ne m’attends-tu pas ?

Pourquoi m’as-tu quittée, Merlin ? Je te l’ai ordonné, dis-tu. Quelle raison !

Pourquoi me laisses-tu mourir, quand les violettes et les perce-neiges vont renaître demain ! Elles verront la lumière ! elles se pencheront sur la fente des glaciers ; et toi, tu les effleureras de tes pieds sans te souvenir de moi.

Comme je l’avais prévu, il n’y a plus ici un seul être auquel je puisse confier un message. Même les aigles et les vautours sont partis. Les lacs bleus de saphir sont enchâssés jusqu’aux bords dans leurs rivages de neige. Le désert de glace m’environne. L’avalanche seule demeure ; mais qui peut lui commander ? Elle est si capricieuse !

Adieu, Merlin ! adieu… j’ai froid.