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LIVRE XXIII.

ç’a été, sur mon honneur, pour le la laisser. Crois-tu que j’ai travaillé pour moi ? Fi donc ! Sur ma parole, je n’ai rien fait que pour toi. « Il me succédera, me disais-je. Il honorera son vieux père. Je lui donnerai de bons conseils du fond de ma retraite. » Voilà, mon fils, avec quels projets je soutenais mes ennuis. Allons, Merlin ! je te laisserai l’empire ! Tu m’assureras seulement une retraite honorable, telle qu’elle sied à celui qui a porté le sceptre des abîmes.

— Je vous rends grâces. Mes goûts sont trop différents.

— Tu te laisseras guider par mes avis. Il ne faut pas non plus te figurer le gouvernement comme trop difficile. Ils sont si bornés, si niais dans leurs viles roueries ! ils se prennent si aisément dans leurs lâches filets ! Pourvu qu’on les opprime, ils vous croient du génie. Mentir, mentir, voilà tout le secret. Ma longue carrière m’a appris que le mensonge le plus cru, le plus grossier, est encore celui qui va le mieux à leur grossière nature. Il paraît que c’est là l’élément le mieux approprié à leurs organes. Ils le savourent avec délices : c’est leur nectar et leur ambroisie.

— Une chose m’inquiète dans ce que vous dites, mon père.

— Laquelle, mon fils ?

— Des âmes de boue peuvent-elles être immortelles I

— Pourquoi non ? Nous avons aussi de la boue en enfer, et elle est indélébile. Va ! mon enfant, sois tranquille ! tu t’en tireras à merveille. Succède-moi.