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MERLIN L’ENCHANTEUR.

d’hiver, dont il ne voulait rien savoir. Le plus souvent il ne s’informait pas même de leur nom, ou c’était pour le défigurer à plaisir, en l’inscrivant sur son livre enluminé. Aussi ne se donnait-il guère la peine de descendre par le sentier en colimaçon et de voir de plus près leurs visages. Il savait que les prophéties de son maître s’accomplissaient lentement, irrésistiblement, et cela lui suffisait. Patient comme autrefois, mais courbé par l’âge, il écrivait de loin à loin, de sa même écriture gothique, le peu que lui apprenaient du monde les oiseaux voyageurs de plus en plus effarés de l’écroulement des hommes et des choses. Son ennui augmentant et sa main tremblant, il écrivait tout en abrégé. Pour la mort d’une nation, il mettait une croix ; pour celle d’un empire, une barre ; pour celle d’un héros, tel que le grand Charles ou Roland, un point majuscule. Souvent même il effaçait quand les gens devenaient trop orgueilleux. Alors de tout un peuple mutiné il ne restait qu’une tache d’encre.

Chaque jour, au lever du soleil, Jacques lui apportait une terrine de lait, un morceau de pain bis, puis s’entretenait quelques moments en foulant la rosée avec le solitaire.

« Quelle nouvelle ? » demandait Turpin.

Si Jacques avait entendu une feuille de tremble frissonner dans le bois, ou la voix pétillante et caressante d’un chardonneret diapré sur un noir mélèze, il répondait :

« J’ai entendu les pas d’Arthus sur la feuillée. Le