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MERLIN L’ENCHANTEUR.

la gloire à d’autres, sans réclamer sa part. Bien différent, en cela, d’Hermès qui composa aussi, à lui seul, les œuvres des Égyptiens ; mais qui en recueillit tout le fruit ; puisque nul ne fut assez osé, au bord du Nil, pour lui voler sa renommée, en copiant ses livres et s’en attribuant l’honneur. Au lieu que cela s’est fait journellement et impunément parmi nous ; et les plus intrépides larrons et plagiaires, un Rabelais, un Poquelin, un Voltaire, tant d’autres qui ne vivent que de la moelle et substance de Merlin, sont les plus honorés parmi nous. Chose assurément punissable autant que scandaleuse ! Qu’ont-ils donc fait, ces illustres auteurs, que de transcrire effrontément l’écriture de Merlin, ayant soin de ne jamais le nommer ni le citer ? Il n’est rien là que nous ne puissions nous-méme faire à notre tour ; et certes, je ne vois pas de plus grande honte pour notre nation et rien qui en montre mieux, au dire des autres, la vanité et la légèreté.

Aussi bien, je soupçonne que même dans ce siècle, parmi nos contemporains, cette déprédation des œuvres de Merlin continue sans rencontrer d’obstacles. Je suis prêt à dénoncer sans pitié nos hommes de proie, à moins qu’ils ne confessent d’avance le plagiat, et que, par un prompt et généreux aveu, ils ne désarment la justice. Toi-même, ô mon frère, je ne t’épargnerai pas, toi qui refais la vieille trame de l’histoire de France ; ou bien tu déclareras, qu’à la tombée de la nuit, entrant comme l’épervier dans le sépulcre de Merlin, tu lui as dérobé ses meilleures pensées.