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MERLIN L’ENCHANTEUR.

plus immuables changent de forme. Je suspends mes espérances à ces sommets que l’aigle même ne visitera pas.

Voici la saison où les troupeaux redescendent en foule du haut des Alpes, pour gagner les chalets des basses vallées et s’y abriter contre l’hiver. Il n’y a pas un roc qui n’ait son troupeau et son berger. Je crois voir un peuple céleste émigrer des nues. Les Alpes rougissent d’un rouge pourpre. Tu dirais des tapis écarlates étendus sous les pas de ce peuple divin qui descend les degrés du ciel.

Parmi les bergers se trouvait ce jeune enfant, Guillaume Tell, auquel tu as donné l’arbalète qui ne manque jamais son but. Que cet enfant m’est cher entre tous les autres ! J’ai voulu le voir et l’adopter. Quand je lui ai dit d’approcher, il a d’abord été retenu par sa timidité sauvage, et il a fait un bond pour s’éloigner. Mais j’ai prononcé ton nom, Merlin ; aussitôt il s’est avancé sans crainte, car il se souvient de toi ; il demande où tu es.

Imprévoyant, selon ta coutume, tu avais oublié de lui donner la flèche ; je lui en ai fait une acérée. Ainsi, le voilà doué par nous deux. Ses parents m’ont promis que l’arbalète et la flèche resteraient dans leur famille jusqu’à la dernière génération. Qu’il soit ainsi pour leur salut et notre gloire !

Après eux, je restai seule dans la haute région que tous abandonnent. Dans le désert glacé du Titlis, je rencontrai des âmes qui planent éternellement sur ce séjour de mort, emportées par des tempêtes qu’elles ne