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LIVRE XXII.

qui était auparavant l’épouvantail des hommes, était devenu leur appui et leur joie. Aussi les pèlerinages, soit de peuples entiers, soit de simples particuliers, ne se faisaient-ils pas attendre. Il arriva même que, maintes fois, l’enchanteur fut importuné de ces appels indiscrets des vivants ; car il était alors arraché à une rêverie où toute son âme était plongée, ou à une promenade sous les ombrages sacrés, ou à sa partie d’échecs, qu’il ne se faisait plus de scrupule de gagner depuis que l’éternelle sérénité reposait sur le front de Viviane.

Mais jamais il ne préféra son plaisir au repos des vivants, jamais il ne se fit attendre quand leur voix l’appela ; et vous pouvez penser que par là il ne connut jamais, dans son sépulcre, l’ennui ou la monotonie que traîne après soi l’oisiveté. Après avoir été interrompu par les petites passions, les lieux communs, les médisances et même par les douleurs sincères ou exagérées des vivants, il revenait, avec une félicité nouvelle, à l’endroit où l’attendait sa bien-aimée.

Ce n’était donc pas (entendez ceci) une vie oisive que la leur. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier, sans quoi toute la morale de mon livre serait perdue. Consoler les mondes n’est pas une occupation sans importance ; et c’était l’emploi de mon héros. Après quoi seulement venaient les longs repos au bord des sources, les demi-sommeils, les chuchotements d’amour, bref, tout ce que Mahomet a faussement promis à ses croyants, et ce que le seul Merlin a goûté jusqu’ici, parce que, seul, il l’a mérité.