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MERLIN L’ENCHANTEUR.

La merveille de ce pays, Merlin (faut-il te l’apprendre ?), ce sont les montagnes de neige éternelle ; car elles semblent, comme des divinités, régner sur toutes les autres. Le plus souvent elles se cachent, et tout à coup elles apparaissent éblouissantes d’un éclat que mes yeux ont peine à soutenir ; puis elles se dérobent de nouveau et s’enveloppent de silence. Leurs pieds bruns se montrent seuls sous le rideau des nuages plombés, et c’est ainsi qu’elles excitent tour à tour l’admiration et la terreur des hommes qui se glissent tremblants dans leurs ombres.

Soyons fiers, Merlin, d’avoir posé les premiers le pied sur leur neige immaculée. Puissé-je garder, comme elle, la blancheur de mon âme !

Tiens d’ailleurs pour certain que tous nos enchantements seraient indignes de ces monts sacrés et les profaneraient. Aussi n’ai-je pas songé à exercer ici notre art. Je n’ai pas même voulu laisser la trace de mes pieds sur ces neiges vénérables ; pourtant j’y ai écrit ton nom. Il brille comme un tison, dès que le jour se lève.

Quelle paix éthérée sur ces sommets ! À peine ai-je atteint leurs gradins, roses, je me sens affranchie de la terre, oui, mon maître, affranchie de toi-même. Je me dis : Je suis libre. Ses enchantements ne viendront pas jusqu’à moi. La douleur, le regret, levain espoir, ne monteront pas sur cette cime, où toute existence s’arrête, où les majestueux sapins, devenus nains, rampent misérablement sur le sol et se cramponnent, désespérés, au rocher qui ne peut leur rendre la sève. Un peu