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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Y songez-vous ? La vraie jeunesse est dans le cœur.

— Mon Dieu ! ne me parle pas de celle-là. Mes cheveux ont donc blanchi ?

— Non.

— Ai-je des rides ?

— Nullement.

— Qu’est-il donc arrivé ?

— Puisque vous ne m’en croyez pas, demandez-le aux fleurs, aux marguerites des bois : elles sont sincères ; elles vous rendent un éclatant témoignage quand vous passez.

— Les fleurs ! repartit Merlin avec amertume. Que tu les connais mal ! Je ne les aurais jamais crues si méchantes ni si rancuneuses ! Elles, qui ne vivent qu’un matin, ne me pardonneront jamais d’avoir loué devant elles, dans une triade, la durée des chênes centenaires. Depuis ce jour, elles me regardent avec une ironie qui me transperce. On me donnerait la royauté des roses que je ne l’accepterais pas.

— Ô maître ! à de si grands maux n’y a-t-il aucun remède ?

— Il en est, Turpin ! mais j’hésite à les employer. Pour gouverner ce monde, je m’aperçois, ami, qu’il faut surtout le mépriser, et c’est à quoi j’ai peine à me décider. Je saurais, au besoin, ruser, gauchir, mentir, gaber, comme tant d’autres enchanteurs le font journellement avec profit, mais j’ai peine à m’y accoutumer ; et si mon règne doit continuer à ce prix, j’aime mieux