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MERLIN L’ENCHANTEUR.

le secret que je vais vous dire, après m’être promis de ne le confier à personne. Ce secret, le voici : Renoncez aux idées, puisque désormais elles vous coûtent tant à trouver ! Les mots peuvent en tenir la place quand ils sont bien enchâssés. Le cliquetis de certaines syllabes jette des étincelles, et elles suffisent pour éblouir les yeux des hommes. Il y a aussi des paroles gonflées, creuses au dedans, huppées au dehors, que je pourrai vous apprendre et qui résonnent d’elles-mêmes, comme la statue de Memnon. Vous en ferez l’expérience.

— Se peut-il ?

— Rien n’est plus sûr.

— Je ne voudrais pourtant pas compromettre à la fin de ma carrière la renommée que j’ai acquise.

— Faites ce que je vous dis, poëte, tout le monde s’en trouvera bien. »

Sur cela, il congédia Fantasus ébloui ; mais, en secret, l’enchanteur se sentait mourir de honte.

Fantasus, presque hébété d’étonnement, de douleur, d’isolement, surtout de vieillesse et de misère, s’en allait, cherchant des mots huppés, trouvant des rimes qu’il répétait avec une complaisance qui eût dû arracher des larmes à ceux qui le rencontraient. Mais la foule cruelle le regardait sans le voir. Nul ne lui faisait l’aumône d’un sourire ; nul ne se souvenait de la splendide jeunesse et des anciennes couronnes du poëte. Seuls, les enfants prenaient plaisir à l’entendre, quand, rentré dans sa cabane ouverte à tous les vents, il s’as-