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LIVRE XX.

— Pourquoi non ? Je me sentais assez de cœur pour créer des mondes.

— Maintenant, résigne-toi à la prose.

— Jamais.

— Fais-toi, te dis-je, à la vie prosaïque.

— Jamais.

— Eh bien ! meurs.

— Soit. Mais avant que je meure, donnez-moi, ô roi des hymnes, une dernière pensée féconde, un éclair de l’esprit, un ravissement d’intelligence, et je suis encore sauvé. Je gagne la partie à ce grand jeu de l’immortalité ; je brave les ans, la vieillesse, les siècles futurs et la terre ridée qui déjà s’entr’ouvre pour m’ensevelir. Donnez-moi, vous dis-je, une inspiration, un motif, un accord, un rhythme, un rayon de lumière, moins que cela, un mot magique ; et j’enchaîne l’univers à mes pieds, aux vôtres.

— Une inspiration, dis-tu ? Pauvre Fantasus ! il me serait plus aisé de te donner un royaume.

— Que me font les royaumes, Merlin ? Je les méprise tous. Donnez-moi, ô maître, le charme qui, d’un mot, ravit les cieux eux-mêmes, ou arrachez de mon cœur cette soif des choses belles qui dessèche mes lèvres. »

Ici, Merlin, dont l’esprit était aux abois, entraîné sans doute par une commisération trop vive, répondit :

« Vos maux sont grands, Fantasus ; ce sont les tourments d’une âme trop amoureuse de poésie dans un âge de prose. Je les connais pour les avoir éprouvés, au moins le plus grand nombre. La pitié m’arrache