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LIVRE XIII.

prés. Je leur ai ordonné sèchement de se dépouiller de leurs diadèmes en ma présence et de prendre le deuil ; ce que ces innocentes créatures ont fait sur-le-champ, sans se plaindre. Oui, le deuil, Merlin, celui de Viviane. Je sais que tu n’en croiras pas un mot. Prends garde cependant de me pleurer quand il sera trop tard.

Va ! barde et poëte, sois content de tes œuvres ! Je n’ai que trop bien retenu la tristesse de tes triades. J’en ai appris le rhythme larmoyant ; elles me reviennent à chaque heure du jour. Des chaumes jaunis, des landes désertes, de pâles aurores, des ruisseaux qui sanglotent à travers les sapins blanchissant de vieillesse ; des nuages à longs plis, étalés comme une grande aile humide sur le nid des tempêtes ; une pierre debout dans la forêt, un dolmen, puis l’éternel silence sous le chêne de Membré, n’est-ce pas là ce que tu m’as enseigné ?

Oui, je suis devenue ton digne disciple. J’attache en ce moment des mousses grises, argentées, aux noirs rameaux des sapins, afin qu’ils ressemblent à ces vieux druides dont tu m’as tant parlé ! Autour des troncs rugueux des bouleaux, j’enroule de minces feuilles, moirées d’argent, pour y écrire tes triades.

Tes triades ! ah ! je les ai chantées au bord de la mer de Bretagne, et la mer s’est couverte d’écume. Je les ai chantées aux forêts de Brocéliande, et les forêts ont éclaté en gémissements. Je me les suis chantées à moi-même dans la crâ de Bresse, et je me suis enivrée de folles douleurs que toi-même ne pourrais plus guérir.