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LIVRE XIX.

VI

Pour arriver au seuil d’Arthus il fallait traverser plusieurs nations qui semblaient moribondes ; elles étaient étendues ou accroupies dans le sable comme autant de sphinx aux portes du palais, et chacune d’elles portait au front un mystère. Elles ne pleuraient, ni ne sanglotaient, ni ne gémissaient, mais elles gardaient un silence sépulcral. Pourtant elles vivaient, à en croire la respiration oppressée, haletante, qui soulevait leurs poitrines. Dans tout le reste, elles paraissaient de pierre.

Oui, les corps vivaient, mais les âmes étaient mortes, et chacun portait en ricanant le deuil de soi-même.

Aucune blessure ne paraissait à la surface des corps. Mais toutes les plaies d’Égypte rassemblées eussent compté pour rien à côté de cet ulcère invisible, tenace, qui dévorait tout un monde.

Ne parlez pas davantage des pestes racontées par Thucydide et par Boccace. Qu’étaient-elles au prix de cette peste vraiment noire, répandue sur toutes les nations d’Arthus ? Un mal grand, sans doute, mais guérissable, puisqu’il était connu ; et d’ailleurs, vous pouviez vous en défendre par l’isolement. Il suffisait, pour vivre en sûreté, de se préserver de l’attouchement des corps.

Ici, au contraire, nul abri, nul rempart, nul refuge.