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MERLIN L’ENCHANTEUR.

nouvelle. Mais, aujourd’hui, mes occupations me paraissent de plus en plus puériles. À quoi bon recommencer une tâche qui n’a plus aucun but, depuis que tu manques à toutes choses ? Le découragement, la lassitude, l’ennui me gagnent. Des pensées stériles, inachevées, informes, que je ne pourrais même exprimer, remplissent le vide de mes jours. Une teinte grise, plombée, se répand à mes yeux sur l’immense univers. C’est à peine si j’ai la puissance de chasser devant moi les feuilles desséchées qui roulent sous mes pas. Pendant que j’écris ces mots, ma couronne de verveine vient de tomber de mon front ; je n’ai pas le courage de me baisser pour la ramasser.

Devant moi, le dernier soleil descend sur la montagne, de créneaux en créneaux comme par autant d’escaliers, et il semble tomber à chaque gradin. Les cimes opposées s’empourprent ; elles se réfléchissent dans le lac en noires pyramides frissonnantes, soutenues çà et là par des torsades de neige ondées, à leur pointe, de feux liquides, comme le bûcher sépulcral d’un dieu sous-marin. Qui m’empêche de m’y ensevelir avec lui ?

Vois, vois, Merlin, ce que tu as fait de moi, et jouis au moins de ton ouvrage. L’œil radieux des jours d’été serait pour moi une raillerie. Il m’a été impossible d’endurer plus longtemps la chanson impassible des cigales, qui me semblait une injure ; aussi, les ai-je forcées de se taire. Je ne pourrais même tolérer la joie rustique, le sourire épanoui, assurément inoffensif des marguerites des