Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur tome 2, 1860.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
LIVRE XIX.

rieux) que le mien m’a été enlevé. Qui l’a pris ? qui l’a évoqué sournoisement, pendant mon sommeil ? Il était là pourtant il n’y a qu’un moment, jeune aussi, radieux d’espoir, debout sur un sommet des Pyrénées, semant autour de lui la joie et le sourire. J’arrive où je l’ai caché moi-même. Ô douleur ! ô trahison ! ô ruine ! Je ne le trouve plus. Voler un héros confié à la bonne foi publique, c’est bien pis mille fois que de voler à un homme son trésor dans une vieille cassette.

Croyez-moi, le pire des maux, c’est d’être interrompu dans un ouvrage épique du genre de celui-ci, qui aurait dû couler d’une haleine comme un fleuve grossi par la fonte des neiges. L’herbe croît sur les pas de vos personnages. Ils ne vous connaissent plus et ne répondent plus à votre voix. Tout est à recommencer comme dans une amitié brisée ; et celles-là se renouent-elles jamais ?

Averti par mes plaintes, si quelqu’un me ramène mon héros, ou si je le retrouve dans cette mêlée de la vie, plus confuse cent fois que l’incendie de Troie, où Énée perdit la vieille Créuse (en supposant qu’il ne l’ait pas perdue volontairement) ; oui, si je rejoins jamais notre enchanteur, je fais ici serment de ne plus me séparer de lui qu’il n’ait achevé de me dicter son histoire jusqu’à la dernière ligne.