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MERLIN L’ENCHANTEUR.

alors dans ton cœur. Que tu aurais ri de la prétention de remplacer un mot, un sourire, un silence, un regard par un palais de marbre ! Te voilà donc déjà comme ils sont tous, indigent de cœur, riche de clinquant, infatué de ta misère !

Garde-le ton Alhambra ; il ne saurait me plaire. J’y rêverais de sultanes, de houris et d’Andalouses, dans tes alcôves d’albâtre.

Au moment de me rendre au golfe du Bengale, j’y ai subitement renoncé ; c’est là un monde trop vieux pour nous, Merlin, trop chargé de reliques, et, d’ailleurs, sur le chemin banal de tous les souvenirs. Je voudrais, s’il en est encore, un lieu entièrement nouveau, ceint d’un infranchissable océan, où nous seuls pourrions aborder.

On m’assure que l’El-Dorado, qui est une des îles Heureuses, remplit toutes ces conditions. Les îles Heureuses ! je suis prête à m’embarquer sur la foi de ce nom. D’ailleurs, je désire ne plus voir les étoiles qui m’ont trompée ; et j’apprends que, dans ces lieux innommés, d’autres étoiles meilleures se lèveront sur ma tête et me verseront de meilleurs sorts.

Telles sont, Merlin, les raisons qui me décident à t’appeler du côté où le soleil se couche dans la mer inconnue. Puissent-elles te sembler, comme à moi, sans réplique ! Si nous trouvons cette île heureuse, n’en sortons plus. Je veux que la rive soit si haute et l’abîme si profond qu’aucune créature de la vieille terre ne puisse venir nous épier de ses regards jaloux. Oh ! que je te tiendrai alors étroitement renfermé et que mes bras