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LIVRE XIII.

Puis je souris tout à coup de ces occupations frivoles dans lesquelles se consument mes journées : refaire une tâche qui se détruit à mesure qu’elle s’achève ; filer des fils de la Vierge qu’emporte le premier moucheron qui passe ; farder des fleurs qui pâlissent et meurent l’instant d’après : est-ce là une œuvre digne d’une créature pensante ?

Ah ! Merlin, si tu allais me mépriser et croire mon âme abandonnée sans merci à ces puérilités ! Inventer des arabesques, les dessiner, les peindre avec des couleurs trempées de rosée sur l’aile d’un papillon ou d’une demoiselle qui vit une heure, cela te paraît bien misérable, ô grand enchanteur ! Oui, sans doute, il vaudrait mille fois mieux y écrire une de tes triades.

Le soir vient ; je reste au bord du grand étang et je balance la branche d’amandier où se pressent dans le nid les petits du rouge-gorge. J’écoute si l’un d’eux, par hasard, reste éveillé, ou si les fleurs continuent trop tard de chuchoter entre elles. Je chante à voix basse la chanson que tu sais ; et l’oiseau, la fleur, l’étoile, l’abeille, le troupeau, le berger, le chien même, tout s’endort en même temps.

Si une feuille frissonne, je me retourne ; il me semble que c’est toi qui murmures dans le val. Les grandes ombres s’étendent sur les grandes eaux, et je pleure.

Rire et pleurer dans le même moment, cela te fait pitié, Merlin. Oh ! que de choses plus étranges dans le monde et que tu ne comprendras jamais ! Adieu !