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LIVRE XVI.

nous-mêmes. Le temps passerait sans nous rencontrer sur ses pas. Nous serions comme ces solitaires dont je connais ici un grand nombre. Je leur demande quel est leur âge ; ils répondent :

« J’ai le même âge que la forêt. »

Encore une fois, qui nous empêche de commencer ici l’éternité ? Pourquoi ajourner d’heure en heure ce qu’il nous est si facile de saisir aujourd’hui ! Nous aurions un éléphant favori qui s’agenouillerait à ta porte, pour le recevoir dans une tour d’ivoire ou d’ébène. Il n’est besoin que d’une liane pour le conduire. C’est le plus doux des êtres. Quand tu passes au bord du Gange, je vois d’avance le Roi des fleuves te suivre et baigner la plante de tes pieds en les couvrant de perles.

Nous n’aurions qu’un seul serviteur, un paria, qui cultive le cousa et dont la chaumière est cachée dans les massifs d’un jungle. Nul asservissement, d’ailleurs, nulle contrainte. Des bananes, des fruits de l’arbre à pain en abondance. Quant à tes vêtements, tu n’auras pas même besoin d’y songer. Une écorce de manguier, de cocotier, une feuille de baobab te ferait aisément toute une saison.

Si cette lettre te parvient, comme je n’en doute pas, marque-moi exactement ce que tu penses de mes projets d’établissement. Écris-moi aux Colonnes d’Hercule. C’est un endroit pour lequel les occasions sont fréquentes. J’y serai au plus tard dans le mois des tempêtes.


P. S. J’ai longtemps attendu sur la rive du Malabar