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MERLIN L’ENCHANTEUR.

pour me défendre des serpents et des méchants esprits qui peuvent être restés couchés sous les épaisses broussailles dont ces lieux sont couverts.

L’enceinte est encore presque entière, à la réserve de quelques endroits où la palissade a été dévastée par l’épée de flamme. Sitôt que je distinguai l’entrée, je fus saisi de peur ; je crus voir arriver à ma rencontre quelque esprit armé du glaive ; pour me préserver de ses coups, je tirai de ma harpe un de ces accords puissants que tu connais. L’écho retentit dans l’enceinte sacrée. Mais nul gardien n’apparut sur la muraille ; j’entrai sans trouver d’obstacle, soit que les archanges aient quitté ces lieux en même temps que le premier homme, soit que la suite des siècles ait produit quelque négligence, soit enfin que la puissance de Merlin s’étende jusque par delà l’Éden et lui en ouvre les portes.

Je franchis le seuil. Dire quelles émotions nouvelles, inconnues aux enchanteurs et aux prophètes m’assaillirent en ce moment me serait impossible. Ce qui me frappa le plus, ce fut le silence. Quoiqu’il y eût autour de moi une multitude d’oiseaux, aucun ne fit entendre le moindre chant. Comme s’ils étaient encore épouvantés du souvenir des choses qui s’étaient passées dans ces lieux, stupéfaits, ils semblaient dire :

« Êtes-vous le nouvel Adam ? »

Des fruits pendaient au-dessus de ma tête ; je n’osai y toucher, tant je craignais de manger, par hasard, celui qui a perdu déjà un plus sage que moi.