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MERLIN L’ENCHANTEUR.

à quoi tout se réduit. Ah ! que je le hais ce peuple babillard, altéré de mensonges, qui me noircit pour te flatter !

Maintenant me voilà seul dans l’univers ! J’ai brisé le cœur d’un enfant. J’ai fait couler des larmes divines, et tu ne m’en sais aucun gré.

Que te dirai-je des ruines d’Italie et de Grèce, et de tant d’empires que je viens de visiter ? Moi-même je suis une ruine au milieu de ces ruines. Moi qui, autrefois, eus relevé si aisément d’une parole ce monde croulant, (tu étais alors près de moi !), je ne savais, pour déguiser mon embarras, que siffler avec le vent d’automne, parmi les pierres amoncelées, comme cela m’est arrivé, sur le seuil entr’ouvert de la porte de Mycènes. J’ai trouvé les cendres d’un petit feu de berger dans le tombeau du grand Agamemnon (quelle occasion pour un magicien !), et à ma confusion je n’ai pu même réchauffer une étincelle sous ces cendres blanchâtres que la pluie avait, il est vrai, détrempées les jours précédents. Plusieurs personnes, qui venaient auprès de moi pour entendre les plus graves entretiens ou pour me demander de ressusciter les villes mortes (chose si aisée néanmoins !), ont été étonnées et presque scandalisées de ne pouvoir tirer de moi qu’un soupir et qu’un nom. Aussi ce temps de ma vie a-t-il été le plus stérile. Ma renommée se perd ; eh ! qu’importe ?