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LIVRE II.

Ô premières divagations ailées de deux cœurs qui se poursuivent et se fuient comme deux oiseaux dans l’air transparent du matin ! N’espérons pas vous décrire ! Avec tant de divergences d’idées, comment leurs esprits pouvaient-ils s’atteindre ? Ils gardaient de longs silences. Du moins leurs yeux se parlaient et croyaient se comprendre. Merlin ne savait plus où il était ; il se retrouvait tout ravi à côté d’Isaline ; il lui prenait la main ; et ses lèvres prophétiques retenaient, étouffaient, laissaient échapper de tièdes soupirs, présages certains de douleur et de félicité.

Ce n’était qu’un jeu assurément, je le répète. Et pourtant le cœur de Merlin saignait. Ce n’était qu’un jeu d’enfant, et pourtant l’âme et l’esprit se joignaient, s’entre-choquaient, se brisaient, s’allumaient. Et quelles étincelles jaillissaient de ce choc de deux cœurs si différents !

Merlin oubliait-il donc Viviane ? C’est une folie de le penser, c’est une impiété de le dire. Non, certes, il ne l’oubliait pas. Il savait quelle différence il y a d’une personne idéale à une personne très-positive, quoiqu’il est vrai charmante. Mais enfin, il ne pouvait s’empêcher de remarquer pour la première fois qu’il y a sur la terre différentes sortes de beautés.

Celle de Viviane était certes prodigieuse, céleste, uranienne, presque surnaturelle ; toutefois celle d’Isaline n’était pas à mépriser.

Mon héros était-il donc éclectique ? Quelle question ! Nous avons trop l’habitude de gâter les meilleures choses par des mots pédantesques.