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LIVRE II.

étoiles des cieux pour un diamant sorti de la boutique du lapidaire, toutes les légendes pour une saillie heureuse, tous les mugissements harmonieux des mers lointaines pour une conversation à voix basse, en tête à tête avec un ami, au coin du feu. Quoique le monde (ou, du moins, ce que nous entendons par là) n’existât pas encore, elle l’avait deviné.

Ce que nous avons appris du vague des passions lui eût été antipathique. Mais cela était inconnu aux hommes comme aux femmes de son temps. Elle n’eût pu supporter davantage nos systèmes de théologie transportés dans l’amour, notre mysticisme, notre emphase, même nos bonnes qualités (si elles existent) acquises au prix de la grâce. Elle était elle-même la grâce ; elle maudissait comme une impiété tout ce qui on manquait.

Comme elle était de l’ancienne France, elle était aussi de l’ancienne école, préférant les prosateurs aux poëtes. Elle eût été classique s’il y avait eu des romantiques de son vivant. Ne demandez pas ce qu’elle eût pensé de l’enjambement dans les vers ou du réalisme : cette question n’existait pas de son temps.

Ainsi elle semblait légère : dans la vérité elle ne l’était pas ; il y avait même un peu de routine dans sa manière d’être. Elle ressemblait à la mer, mobile à la surface et immuable au fond. Mais elle eût rejeté cette comparaison comme trop ambitieuse. J’ai déjà dit qu’elle eût préféré la netteté, la simplicité du dix-huitième siècle à tout notre lyrisme.