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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Plein de ces idées, il n’hésita pas à s’en ouvrir auprès de la plus belle, nommée Isaline.

« Ne vous offensez point, Merlin, lui dit Isaline. Nous ne faisons que de naître ; déjà nous rions de tout ici dans ce canton, de ce que nous aimons comme de ce que nous haïssons, de la rose et de l’épine, de la liberté et de l’esclavage, du berceau et de la tombe, même aussi de l’amour. Quelquefois (par bonheur rarement), au milieu de ces jeux, de ces sourires, une pensée profonde se glisse dans le cœur et l’enveloppe de ses replis. Alors le poison est plus subtil, plus envenimé, je vous le jure, que dans aucun autre pays.

— Vous me consolez, » répondit Merlin.

Isaline avait les joues un peu pâles pour ses cheveux couleur de jais, la bouche pleine d’amoureuses malices, le front haut, angélique, la taille souple comme l’herbe des prés, et, mieux que cela, les yeux noirs les plus grands, les plus mignons, les plus espiègles, les plus profonds, les plus enjoués, les plus sérieux, les plus ingénus, les plus réfléchis qui se verront jamais sur la terre. Quand Merlin aperçut pour la première fois ces grands veux veloutés, il crut voir la source lumineuse de toute magie. Il s’en abreuva à loisir, lentement, en conscience. N’était-ce pas la flamme étoilée où doit se baigner tout enchanteur ?

À force d’esprit, Isaline comprenait l’imagination de Merlin, ou, du moins, le lui laissait croire. Elle n’avait aucun goût pour ce que nous nommons aujourd’hui nature, art, poésie, rêverie ; elle eût donné toutes les