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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Surtout je sais la reconnaître à travers le sourire emmiellé d’un front hypocrite. Quelle disparaisse de la terre, ou que j’en sois moi-même précipité ! »

À ce moment, un nuage voila le disque de la lune, sur la cime des forêts. Les ténèbres s’étendirent partout. Merlin poursuivit :

« La nuit s’est amassée autour de moi ! Ah ! qu’elle est profonde et pleine d’embûches la nuit de l’âme ! L’obscurité sépulcrale des lieux souterrains n’est rien auprès d’elle. En dépit des ténèbres, j’attends ici l’aurore. Si l’aurore ne vient pas, j’attendrai le jour dans sa gloire ; si le jour aussi me trompe, je verrai la splendeur incréée du lendemain. Dans un univers esclave, je vivrai, je mourrai libre.

« Ô monde ! je te défie ! Tu étendras sur moi l’indifférence, puis la médisance, puis les dégoûts, les aversions, les reniements, les exils, les paroles sanglantes, comme un linceul troué par l’angle du sépulcre, dans une bruyère déserte. Après cela, tu ajouteras le silence plus pesant que la pierre. Tu ourdiras ensuite sur mes lèvres la toile de l’oubli, plus subtile que celle de l’araignée ; tu t’assiéras alors sur ma froide dépouille. Et quand tu auras achevé ton œuvre, que tu me tiendras enseveli et que tu auras dit en branlant la tête : « Il est mort le devin, le rêveur, le songe-creux ! » alors je me lèverai sur mon séant, avec un éclat de rire ; je t’appellerai par ton nom. Les douces paroles d’espérance, longtemps retenues, sortiront de ma bouche, à flots pressés comme la neige. Et toi, tu me répondras par la