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LIVRE II.

d’un nouveau-né. Peut-être aussi pensait-il qu’un accent, un soupir sincère, un mot, peuvent conjurer l’avenir. Surtout il voulait mêler aux paroles ailées du poëte les enseignements du sage, car il espérait les faire entrer ainsi, par la porte des songes, dans le cœur des nations endormies. Il prend sa harpe. Au premier accord, les tours, les donjons tressaillent jusqu’en leurs fondements. Ses pensées débordent ; elles rompent, comme une digue, le rhythme et la cadence. Merlin laisse tomber de ses lèvres sa première prophétie :

« Il y a trois chemins, trois séjours, trois royaumes, trois mondes, et c’est moi qui suis le conducteur à travers ces trois vies.

« Je ne prophétise pas par le vol de l’oiseau, par le bord de la rame, par l’orbe du bouclier. Mes runes sont écrits dans mon cœur.

« Les autres font leurs enchantements avec la baguette du coudrier, avec les simples cueillis dans les forêts. Mes enchantements sont dans mon âme.

« Tous ont annoncé des douleurs, des pestes, des famines ; moi j’annonce des joies, des bénédictions, des sourires.

« Je dis à l’hiver : « Il y aura un printemps ; aux larmes : il y aura un sourire ; à l’injustice : un juge ; à la maladie : une guérison ; à la mort : une renaissance. »

« Moi aussi j’ai vécu dans les pleurs : le monde était fermé à ma détresse. Toutes mes espérances se changeaient en pointes d’épées pour me transpercer.