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MERLIN L’ENCHANTEUR.

rien, Merlin, vous me mécontenteriez. Tout va bien, sortant de vos mains. Ces peuples me plaisent ainsi : vifs, enjoués, presque enfants, faciles à amuser. N’y touchez pas, pour Dieu, vous pourriez les empirer !

— Sire, tout à votre plaisir ! »

La nuit étant venue, le roi coucha au Louvre, Parceval aux Marais, Tristan dans les halles, Blasius au cloître de Cluny, Yvain dans la tour des Boucheries. Le portier d’Arthus, Gleouloued à la large main, verrouilla les portes et posa les guettes. Le préfet du palais, Owenn, se logea dans les Thermes. Après que les trompes eurent sonné, le silence s’étendit sur la ville et le fleuve.

XIII

La nuit était noire. Quand Merlin se trouva seul, encore plein de ce qu’il venait de dire, de faire et d’entendre, il sentit s’éveiller en lui le devin. Que de pressentiments remplirent alors son esprit ! Qu’il se trouva oppressé du poids des siècles futurs, en voyant d’avance les nations liées à leurs crimes, sans vouloir s’en détacher ! Il était le seul prophète de son temps qui cherchait la vérité et non pas l’illusion.

Comme il mesurait les fautes, la légèreté, la vanité, l’endurcissement, l’ingratitude du peuple qu’il aimait, il voulut essayer de l’attendrir par ses chants, semblable à une berceuse qui jette ses sorts dans le berceau