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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Le Messie est devant vous, et vous ne le connaissez pas ; il s’appelle : Liberté ! N’imitez pas de grâce ce paysan qui s’assied sur la rive, jusqu’à ce que le fleuve ait passé. Savez-vous son histoire ? Le fleuve ténébreux ne s’est pas lassé de couler ; il a amassé ses flots ; il a grondé comme un homme en colère. Le paysan a été trouvé englouti parmi les joncs, lui, ses javelles et son troupeau. Déjà la faim, la froidure, le gel, sans doute aussi la longue attente, le faux espoir l’avaient tué, quand les grandes eaux sont arrivées sur lui. »

Tels étaient les discours qu’il leur tenait. Mais ce langage ne plut à aucun d’eux. Ils aimaient mieux périr cent fois plutôt que de reconnaître par où ils manquaient. Voyant qu’ils ne pouvaient atteindre du premier bond à la hauteur de Merlin, ils préférèrent se replonger tête baissée dans leurs plus anciennes et plus sordides superstitions. Ils s’associèrent entre eux pour faire des paniers d’osier, où ils brûleraient les prophètes. Leur amour-propre était là fort à son aise ; ils en mettaient beaucoup dans les affaires du ciel.

XII

« Soyez notre roi ! disaient les peuples à Merlin toutes les fois qu’ils le rencontraient.

— Dieu m’en garde ! répondit-il. Je fais des rois et n’aime point à l’être. Mais prenez patience, je vous donnerai le plus beau des rois, jeune, bien fait, com-