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LIVRE II.

rent le premier mouvement d’humeur qu’ils avaient éprouvé le matin, à la nouvelle de la division des héritages. Aussi bien, dès qu’ils étaient las, Viviane essuyait leurs fronts avec un pan de son propre voile. Aucun souci n’approchait d’eux ; et, comptant sur la parole de Merlin, ils attendaient patiemment la merveille que chaque outil recélait.

Alors vint un dernier artisan, les mains vides, Fantasus :

« Qui es-tu ? dit Merlin. Ton état ?

— Poëte, repartit Fantasus.

— En es-tu sûr ?

— Je le crois.

— Quelle raison as-tu de le croire ?

— Mes raisons, les voici : Je suis mécontent de tout ce que je vois, de tout ce que j’entends. Je maudis la cité naissante. Je ne me soucie pas de l’ancienne ; je suis mélancolique, atrabilaire. Je n’aime que ce qui n’est point. J’exècre tout ce qui existe réellement. Je me fais centre du globe (si c’est là un globe) ! Je ne m’intéresse qu’à ma propre histoire. Ne sont-ce pas les marques qui annoncent le vrai poëte ? »

Merlin vit qu’il avait affaire à un cerveau plus orgueilleux encore que poétique ; il se garda pourtant de le blesser ; car il reconnut sous cet orgueil une douleur véritable. Il chercha à lui montrer que la poésie suprême est en même temps la suprême raison.

« Ce qu’il nous faut, ajouta-t-il, c’est de restaurer le bon sens. Vous avez ici dans ce canton quelques idées !