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LIVRE II.

trait l’abondance avec ses chariots regorgeants, et par vingt autres la paix. Nul ne convoitait rien, ayant tout à profusion, argent, vivres, habits, repos, et même assez d’amour ! La vanité ne faisait que de poindre ; personne n’eût vendu son âme pour un mot, un denier, un haillon, à peine pour un trésor !

Dans un bassin de marbre ciselé coulait à pleins bords la Seine virginale, où venaient boire les cerfs de Montmartre et de Vincennes, pêle-mêle avec les peuples, pêle-mêle aussi avec les gentilshommes, avec les barons et les rois. Montmartre était abaissé, le marais était élevé. Surènes produisait le vin de Candie. La vieille ville luisait comme une barque d’ivoire sur un fleuve d’argent. Au haut des tours de Notre-Dame, qui n’avait alors pas une ride au front, on lisait : Hic regnum Merlini.

Ayant trouvé un nid d’alouettes, non loin de la Seine, il bâtit là une bastille, qu’il entoura par surcroit de fossés et de ponts-levis.

« Qui habitera cette forteresse ? » lui demanda-t-on. Nous ne voyons ici ni toits de truands, ni moustier pour les moines, ni donjon pour le roi !

— Le plus beau des nouveaux-nés ! répondit Merlin. Mais vous, soyez sa meilleure forteresse.

— Et quel est ce nouveau-né ?

— La liberté, dit l’enchanteur ; elle ne fait que de naître. Écoutez-la qui pleure et se lamente ! Prenez garde qu’on ne vous la change en nourrice. Bonnes gens, voici des langes tissus de mes mains et mar-