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MERLIN L’ENCHANTEUR.

jamais depuis notre haute antiquité, vit-on pareille lourdeur d’esprit ? De bonne foi, d’où sort-il ? Nous aurions déjà, à sa place, résolu le problème de vingt mondes. »

Merlin écouta avec sang-froid ce torrent d’impertinences ; à quoi il répondit gravement :

« Hélas ! l’impatience sied à des éphémères, je ne vous la reprocherai pas. Vous n’êtes encore qu’ébauchés, et déjà, je le vois, vous êtes très-curieux, un peu moqueurs. Cela peut être pour vous la source des plus grandes choses. Prenez garde seulement de trop raffiner ; car je prévois que vous vous prendrez vous-mêmes dans vos subtilités, comme dans des toiles d’araignées. C’est là, je vous en avertis d’avance, voire principal danger ; vous le portez en vous-mêmes. À force d’esprit, craignez d’en manquer tout à fait. Votre destinée, encore un coup, c’est le bon sens ; n’en sortez pas, je vous en prie. Si vous perdiez le goût de la pure lumière, moi-même je ne vous reconnaîtrais plus. N’ambitionnez pas les ténèbres : ne jalousez pas les taupes. »

Il ajouta du même ton un grand nombre d’avis sur la conduite à tenir pour les peuples naissants, et, comme il n’y mêlait aucune aigreur, son langage simple, modeste, finit par gagner le cœur des assistants. Ils étaient venus avec la secrète envie de se moquer de lui ; ils se retirèrent pleins de respect pour sa science. Un grand nombre même, qui ne croyaient point aux enchanteurs, ne s’étaient décidés à le visiter que pour faire la parodie de ses enchantements. Ceux-là mêmes, vaincus par tout ce qu’ils avaient entendu, lui disaient en se retirant :