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MERLIN L’ENCHANTEUR.

couleuvres, à la robe d’émeraude, traversait la plaine, depuis le village jusqu’à Montmartre. À travers l’épaisseur de l’ombre blanchissaient au loin des mamelons de craie et de plâtre, souillés, éboulés, déchirés par les pluies d’orage, comme des sépulcres entr’ouverts qui vomissent les ossements d’un monde de géants dans le berceau d’un peuple.

À l’endroit où s’élèvent aujourd’hui Saint-Roch, Saint-Merry, Saint-Germain, Saint-Sulpice, tournoyaient dans l’air, d’un vol rapide, effaré, des multitudes d’éperviers, de buses, de milans et même des mouettes, des orfraies égarées qui remontaient alors la Seine : tous ensemble planaient, avec des cris perçants, au-dessus du cadavre de quelque cerf mort de vieillesse, enfoui au plus épais du bois sous les broussailles, et que les loups commençaient à dépecer. Par-dessus cette mer de verdure, la montagne de Geneviève, enveloppée elle-même à sa cime d’une guirlande de forêts comme d’une couronne murale, regardait Montmartre et semblait dire : « Le pied de l’homme nous foulera-t-il jamais ? »

En entrant dans l’enclos du bûcheron, Merlin admira deux figuiers, enveloppés de paille, et qu’à force d’art on avait acclimatés ; il en tira aussitôt un grand augure pour l’avenir de ce hameau ; puis il ramena ses regards sur l’eau du fleuve, où venait de se poser une bande de cygnes parmi les nénufars fleuris qui ressemblaient eux-mêmes à une blanche couvée éclose dans la nuit.

« Jamais lieu ne m’inspira comme celui-ci, dit-il. Je me sens tout hors de moi, en contemplant ces solitudes