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LIVRE II.

tour de bois pour le veilleur dont la trompe a annoncé le lever du jour, quelques cabanes moussues de pêcheurs au large toit, des enclos d’épines, des filets suspendus sous l’auvent prolongé des chaumières, des oies errantes, criardes, sous les pas de Merlin, à travers les places, çà et là une filandière farouche sur son seuil, un enfant suspendu à la mamelle, un pécheur qui tresse sa nasse d’osier, un laboureur qui parque ses deux taureaux demi-domptés dans l’endroit de refuge, une odeur de paille jonchée, d’étables fumantes, de poissons béants au soleil, peut-être aussi de vigne ou de sureau, des aboiements de chiens de bergers, des sonneries de troupeaux, des bruits d’avirons, des cris de bateliers, au loin le hurlement sonore d’un louveteau dans la forêt du Louvre, oui, voilà Lutèce !

Merlin, avant d’aborder, contempla à loisir, sur les deux rives, les lieux déserts, la forêt profonde, sacrée, d’où surgissaient alors les cimes ombragées de Montmartre, de Saint-Cloud, du mont Valérien, comme les têtes chevelues des noirs bisons s’élèvent par-dessus les pâturages tout humides de l’eau des sources invisibles.

La plaine herbeuse, sorte de savane d’Europe, se déroulait au loin, sans fin, sans bornes, çà et là tachetée d’or, ou éclairée d’un blanc mat par le reflet d’une eau dormante où le soleil plongeait et qu’il illuminait de feux éblouissants sous le feuillage lustré des chênes. Le vent qui passait sur la cime grêle des bouleaux leur arrachait comme un vagissement de nouveau-né. Un seul sentier, à peine tracé, fréquenté par de grandes