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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Levez-vous, de grâce, » leur dit-il.

Ils se firent longtemps prier pour se lever ; car ils n’osaient se montrer à l’Enchanteur sur leurs pieds ; ils croyaient qu’ils lui manqueraient de respect s’ils se tenaient debout comme lui.

« Donnez-nous aussi quelques sorts ! » lui dirent-ils à la fin, mais en patois, et d’une voix si humble, si bégayante, si dolente, si inarticulée, que Merlin fut obligé de baisser la tête et de mettre sa main à son oreille pour les entendre.

« Nous n’osons rien entreprendre aussi longtemps que nous n’avons pas été sacrés de vos mains.

— Bon Dieu ! répondit-il, pourquoi n’êtes-vous pas venus les premiers, avant les rois, les ducs et les barons ? Je ne vous aurais rien refusé, pas même leurs couronnes.

— Comment l’aurions-nous osé ? » dirent les peuples en recommençant à s’agenouiller et à ramper.

Mais Merlin, les prenant par la main, les releva de terre pour la seconde fois ; ils balbutièrent :

« Eux sont faits pour régner, nous pour servir. Donnez-nous seulement les miettes de leurs tables.

— Non pas seulement les miettes, repartit Merlin, mais volontiers le festin, pour peu qu’ils s’enivrent. Qui donc vous a faits si humbles ? Vous ressemblez à l’océan de Bretagne. Quand il a peur, il balbutie comme vous, en retenant son haleine, dans les algues ; puis, sitôt qu’il se voit le plus fort, il emporte ses rivages, J’aimerais vous voir quelque noble confiance en vous,