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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Non content de ce qu’il venait de faire, Merlin prit une coupe, pleine d’un breuvage qu’il avait préparé de ses mains avec des touffes d’herbe d’or.

« Tenez, dit-il, ô femmes, voici un breuvage d’amour. Quiconque en boira vous aimera jusqu’à mourir. Ce n’est plus la coupe usée de la vieille déesse. C’est un charme nouveau, inconnu, cuisant, plein de songes et de tristesses divines, qui tient le cœur dans les nues et fait pâlir le visage sous les larmes aveuglantes. Le monde n’a rien vu de semblable.

— Goûtez-le d’abord vous-même, » répondit Yseult la blonde.

L’Enchanteur approcha le breuvage de ses lèvres ; il en but le premier à longs traits ; après lui Viviane, puis toutes celles qui lui faisaient cortége. Mais plusieurs d’entre elles, Genièvre, l’épouse d’Arthus, Blanche-Fleur, Isaure, la belle Énide, s’écrièrent d’une même voix :

« Que le goût en est amer, seigneur ! »

Se retournant alors vers la reine Genièvre, l’Enchanteur lui dit :

« Tu y gagneras une mémoire éternelle ; mais pour une qui survivra, combien seront englouties dans l’éternel silence, avec leur bien-aimé, et le lot de celles-ci ne sera pas le moins digne d’envie. »

Sur cela, il les congédia d’un sourire ; elles allèrent, de peuple en peuple, verser la coupe de l’amour nouveau sur les lèvres des hommes ; et une vague plainte, mêlée d’un vague espoir, sortait de toutes cho-