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LIVRE I.

montagne une plaine de cailloux roulés, usés sur les bords par Merlin quand il jouait aux palets sur la pelouse avec ses compagnons, et que le villageois appelle encore aujourd’hui la Crâ. Tout y est paix, silence, douceur, mystère. Que de fois j’y ai entendu, au mois de mai, dans les touffes d’églantiers ou de genêts fleuris ou de violiers sauvages la conversation à voix basse de Merlin et de Viviane ! Je pourrais t’y montrer mille sentiers tracés par leurs pas, et qui, négligés, abandonnés, tout couverts de palmes de fougères, ne conduisent plus qu’à des landes désertes.

On objecte que Merlin et Viviane se promenaient au bord de la mer, et qu’il n’y en a nulle trace dans le pays. Mais cette objection est sans force, puisqu’il est facile de répondre que la mer s’est retirée, que la plaine s’est soulevée, que la montagne s’est abaissée, que les étangs sont les restes des océans disparus.

Si tu passes près de là (que le ciel te préserve d’abord de la fièvre et de ses songes magiques qui tremblotent sous les saules au bord des eaux, mais seulement après la canicule !), regarde ces lieux si ingénus, si solitaires, ces champs de chaumine, ces horizons de paix, que j’emplissais moi seul de mes visions ailées. Redis-leur tout bas mon nom : ils ne l’ont pas oublié !

Je puis, si tu le veux, te marquer le lieu, la place même où Merlin et Viviane étaient assis lorsque le prodige arriva. C’est l’endroit où tu trouveras, sur une éminence, dans la prairie, un tas de pierres, restes d’une demeure dont tu chercherais en vain un autre