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MERLIN L’ENCHANTEUR.

seront dans l’âme. Tu planeras sur les choses et sur l’océan des êtres, sans crainte de retomber dans le gouffre ; tu braveras sa souillure. »

Instruit par la douleur et par sa chute, le bon Icare comprit ces paroles. Depuis ce moment, il devint le disciple assidu de Merlin ; il l’accompagna tant que le prophète demeura dans ces lieux, et des ailes lui poussaient chaque jour ; elles grandissaient si bien, qu’avant la saison des pluies il put prendre l’essor et traverser sans peine l’incommensurable abîme. C’était un jeu pour lui de planer sur la face frissonnante des océans et de voler des colonnes d’Hercule au seuil pavoisé d’Arthus.

À le voir si radieux, qui parcourait l’Empyrée, Jacques ne put s’empêcher d’en concevoir quelque envie (c’était là son plus grand défaut) ; depuis cette heure il criait aussi, jour et nuit :

« Des ailes ! ô maître ! donnez-moi des ailes ! »

Merlin lui répondit :

« Elles te pousseront aussi, sois-en sûr, car j’y veille moi-même à chaque instant. Mais il n’est pas temps encore. Plus de modestie te convient aujourd’hui. »

Et il ajouta :

« Combien nous manque maintenant le sage Turpin ! Où l’avons-nous laissé ? Où s’est-il oublié ? Il donnerait par sa plume l’immortalité à tout ce qui se passe autour de nous depuis ces derniers jours. Vois donc, ô Jacques ! combien de savoir écrire te serait utile dans le temps où nous sommes ! Quelles belles histoires tu pourrais éterniser, qui risquent de tomber dans l’oubli ! Promets-