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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Ainsi rêvant, le premier qu’il rencontra fut Tantale, lequel se tenait accroupi au bord d’une mare fétide.

« Pourquoi, lui dit-il, pauvre Tantale, t’obstines-tu à regarder en bas vers ce limon grouillant de reptiles et de crabes, qui te fuit et te trompe ? Lève donc, une fois, les yeux vers la source d’en haut ; tu seras désaltéré. »

Et, sans attendre la réponse, il fit couler sur les lèvres brûlantes et noires de Tantale quelques gouttes de l’eau du Saint-Graal, dont il emportait toujours le vase gothique avec lui dans ses pèlerinages, pour se prémunir lui-même contre l’aridité fréquente des choses, des lieux et même des hommes.

Dès que Tantale eut senti sur ses lèvres le bord du vase enlevé à la table du noble Arthus, il se sentit revivre.

« Permets-moi de te suivre, ô Merlin, s’écria-t-il, car je reconnais en toi la fontaine dont j’avais soif. Je me désaltère enfin de ma soif infinie dans les rayons de tes yeux.

— Je le veux bien, Tantale, lui dit Merlin. Suis-moi jusqu’à ce que tu te sois abreuvé aux sources qui ne tarissent pas. »

Il affranchit de même ceux qu’il trouva enchaînés dans les liens de la matière, et tous le suivaient comme leur libérateur, témoin Phaéton, qu’il releva brisé de sa chute de l’Empyrée. Combien ils étaient étonnés de ne plus être enfermés dans l’ancienne prison des choses ! Ils se sentaient libres pour la première fois.