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MERLIN L’ENCHANTEUR.

dans le sentier, tout était à sa place, hormis pourtant les choses sacrées. Les dieux seuls étaient changés ; par malheur, ils s’en apercevaient dans le miroir des ruisseaux. Une timidité inconnue se glissait dans leurs cœurs. Au moment de gagner la plaine, ils s’arrêtèrent. Leurs fronts se couvrirent d’une rougeur semblable à celle d’une mûre piquée par une abeille, et ils dirent d’une commune voix :

« Nous entrerions volontiers, Merlin, dans la plaine poudreuse avec vous ; mais peut-être rencontrerions-nous des hommes, et nous craignons leurs moqueries. Pour des dieux, il n’est rien de plus triste que la peur du ridicule.

— Ô ciel ! le ridicule ! est-il donc fait pour vous ! Vous êtes beaux, éloquents, ingénieux. Vos traits, quoique diminués, sont encore dignes du marbre. Comment, avec cela, craindre l’ironie. »

Puis se tournant de manière à être entendu de Jacques :

« Honni soit, poursuivit Merlin, honni soit qui se moque des dieux tombés ! Non ! je ne sais rien de plus lâche que de ramper sous Jupiter tant qu’il porte la foudre et de le huer dès qu’il est désarmé. Pour moi, il m’est quelquefois arrivé, dans ma jeunesse, de provoquer des dieux. C’étaient des dieux puissants, capables s’ils l’eussent voulu de me foudroyer d’un regard, d’ailleurs, rassasiés d’encens et de flatteries… Mais vous qui pleurez, pauvres immortels, quand la terre entière vous est fermée, il vous reste un refuge dans le cœur de