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LIVRE XI.

Raisonnons un peu, s’il vous plaît. Il est de toute évidence que les États sont faits pour être minés : c’est là leur but ; ils y courent. Nous ne serons donc heureux que lorsqu’ils seront réduits en une poussière impalpable comme celle qui blanchit l’aile des papillons. Me nierez-vous cela ?

— À votre volonté, sire, répondit Merlin en s’inclinant. Toutefois j’ai la plus grande envie de voir vos peuples fleurir dans l’abondance. Je ne doute pas que vous ne gagniez beaucoup à en augmenter le nombre, car, si j’ose vous l’avouer, vos sujets m’ont paru affamés et déjà réduits à un nombre imperceptible.

— Encore une erreur, bon Merlin. Mesurerez-vous toujours les autres sur vous-même ? Autrefois, il est vrai, des peuples immenses, qu’on dit avoir été fort beaux, abondaient dans ces villes. Mais aussi, juste ciel ! quelle source de troubles, d’inquiétudes, que de bruit, quelle foule incommode, quelle anarchie ! La clameur en montait jusque dans les nues. Pas un jour sans tumulte, les nuits même pleines de tempêtes. Aujourd’hui, au contraire, quelle paix vraiment sacrée ! Quelle concorde ! quel silence religieux ! Il me reste encore à régir quelques chevriers que vous pouvez compter de la place où nous sommes. Ils ne m’importunent pas de leurs rumeurs. Je n’ai point à méditer sur les lois, ni à redouter les révolutions violentes. Mon empire n’a de disputes avec personne. Le seul événement à ma cour, c’est une pierre qui tombe, et je date les époques par ces chutes. Tous les rois de ma famille en usent de