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LIVRE I.

X

Ô Amour ! jamais, non, jamais, je n’ai profané ton nom. Tu le sais. Jamais je n’ai joué avec ta puissance. Jamais je ne t’ai fait descendre inutilement de ton céleste séjour, comme une machine de théâtre pour dénouer un drame. J’aurais voulu ne pas te convier ici, car aucune bouche n’est assez divine pour prononcer ton nom ; t’appeler d’une voix humaine, c’est déjà te profaner. Mais il faut que tu répandes sur cette heure au moins un de tes rayons, ou païens ou chrétiens, puisque tu es le seul des anciens dieux qui vive encore comme au premier jour d’Uranus et de Saturne.

Le lendemain, avant le jour, Merlin était à la même place, près de la même pierre. Jamais il n’avait pu encore regarder, sans tressaillir, un sommet de montagne, surtout si ce sommet était couvert d’arbres clair-semés. À travers les massifs d’ombres, illuminés des splendeurs lointaines, il embrassait je ne sais quelle apparition, qu’il appelait le bonheur : vaine superstition dont une éducation mieux dirigée aurait pu le préserver. Mais le mal était fait, il était trop tard pour le guérir.

Merlin leva les yeux vers la montagne, et quelles furent sa stupeur, son angoisse, quand il vit sur le même tertre, au pied du même pin, la même figure qu’il avait aperçue la veille !