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LIVRE XI.

de se coucher dans leurs lits de marbre. Mais il leur fut impossible de dormir. Jacques, après s’être retourné cent fois sur le côté, sans pouvoir fermer la paupière, rompit le premier le silence :

« Hélas ! pourquoi avons-nous quitté l’empereur Lucius et l’ordre du sénat ? Nous périrons ici de faim et de sommeil.

— J’avoue, dit gravement Merlin, que tout ce que je vois ici me donne beaucoup à penser ; sans vouloir porter un jugement téméraire d’après quelques paroles surprises à nos hôtes et qui me paraissent être de vrais sophismes, je crois que nous voyageons ici en compagnie des esprits des ruines. Je ne sais si tu as remarqué que nos hôtes ont précisément ce son de voix sourd qui convient aux décombres et ce tour de pensées vides, subtiles, sophistiques, byzantines, que l’on attribue généralement aux génies de décadence. Mais cela fût-il vrai et eussions-nous, en effet, affaire aux esprits des ruines, tu dois songer qu’ils n’en sont pas moins pour cela de véritables majestés, légitimes comme toutes les autres, dignes de ton respect. Garde-toi donc de leur manquer en quoi que ce puisse être. Car des dynasties n’en sont que plus vénérables pour être tombées, surtout lorsqu’elles supportent l’adversité en souriant comme nous l’avons remarqué jusqu’ici.

— Vraiment, répondit Jacques, tout ce que j’ai remarqué dans ces dynasties, c’est qu’elles ne boivent ni ne mangent. Si du moins le roi Épistrophius nous eût traités comme l’a fait l’empereur Lucius ! s’il nous eût