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LIVRE I.

troubla d’abord Merlin. Il comprit que sa voix avait frappé le rocher, et qu’il n’y avait rien là que le phénomène très-vulgaire de l’écho. Cette découverte, après un moment d’extase, le couvrit de confusion.

« Funeste science ! disait-il, voilà donc ce que je te dois : le désenchantement ! Si j’avais conservé ma première ignorance, je croirais que les pierres se sont émues de ma peine. Je ne mourrais pas sans penser qu’un esprit a répondu au mien ! »

Et il retombait dans sa contemplation désolée. Cependant il releva les yeux sur la crête de la montagne qui était couverte de noirs sapins, et il vit ou crut voir une femme assise au pied d’un arbre. Elle lui parut radieuse, plongée comme lui dans une rêverie éternelle. Des bandes d’oiseaux sortaient des bois pour venir becqueter dans ses mains. Sa robe avait le même vert que la forêt ; son front était blanc et poli comme la pierre des sommets lavés par de continuels orages. Ses yeux étaient couleur de la violette des champs.

Comment des oiseaux sauvages iraient-ils becqueter dans la main même d’une fille de roi ? Avait-on vu que les forêts donnassent à qui que ce fût leur manteau de verdure ? Ce n’était là qu’une parole de poëte brouillé avec la vie ordinaire. Merlin en conclut que l’ennui, l’isolement, le rendaient visionnaire ; que la femme qu’il apercevait de loin n’était qu’un brouillard du matin ; et il faut remarquer, en effet, que la contrée était alors très-boisée, et que cette multitude d’haleines de plantes produisait des fantômes de vapeur sur les-