Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.
365
LIVRE XI.

tiers de Judas qui, se poussant les uns les autres, pleins de hâte, sous le soleil empourpré, agitaient à travers les plaines leurs rouges chevelures. L’espèce humaine prit, en ce moment, sur presque toute la terre, le visage d’Iscariote. Le père de Merlin en rugit de joie.

« Vois, mon fils, comme les tiens te restent fidèles ! »

Le ciel l’entendit ; il en fut enténébré jusque dans la région des bienheureux.

Ceux que Merlin avait le plus aimés vinrent les premiers pour le lapider avec les débris de la table de pierre sur laquelle il les avait nourris. D’autres faisaient le pèlerinage seulement pour le railler. On voyait de loin fourmiller leurs bannières sur lesquelles était écrit : Iterum crucifigi. Assis au haut de la tour, où il était renfermé, leurs cris, leurs moqueries, montaient jusqu’à lui. Ils lui reprochaient la rosée qu’il avait bue, les fruits sauvages qu’il avait mangés, comme s’il eût affamé le monde. Et la foule disait en autant de langues qu’il y en a sur la terre (car, quoiqu’ils ne se comprissent pas entre eux sur le reste, ils se comprenaient pour l’insulter) :

« Le voyez-vous ? — Je le vois. — Par ici ? — Non, par là. — Comme il est pâle ! — Bah ! il a peur de mourir ! — Compère, ajustez-le de votre arbalète. — Bien tiré ! le coup a effleuré le front. — Visez donc plus bas, compère, là, au cœur. — Tiens, Merlin, voilà mon présent ! — Faux enchanteur, où sont tes enchantements ? Descends donc si tu l’oses ! »

Disant cela, ils eussent voulu lui cracher au visage ;