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MERLIN L’ENCHANTEUR.

parais sous cet arbre verdoyant ? Hâte-toi ! me laisseras-tu périr ici, toi que j’ai tant aimée ? Ceins l’épée que j’ai forgée et place-toi à mes côtés ! N’attends pas que la nuit m’environne, que la mort descende sur mon front et me touche de l’aile ; il me tarde de revoir tes bocages fleuris dont j’ai enchanté les sources. Viens donc, France l’honorée, au beau visage, au corselet de fer ; ne me laisse pas davantage navrer par les méchants et insulter par les boucs. Vois comme ils se dressent ici contre moi, et je suis seul pour leur résister. Quoique je sois captif, ne me dédaigne pas, car tu te dédaignerais toi-même. Ce n’est pas ici que doit être mon tombeau ; c’est sous tes forêts ombreuses de chênes, semées de pierres sacrées. Si tu me délivres, je promets de ceindre à ton front les trente couronnes d’Arthus. Mais, au contraire, si tu me laisses périr ici, navré, oublié, consumé d’attente, muré dans ce tombeau avec les spectres des Césars, la honte en sera pour toi. De siècle en siècle tes ennemis diront : « Elle a laissé, sans pitié, mourir son prophète. »

C’est ainsi qu’il parlait et priait, mais vainement. La poussière seule des morts s’émut dans la campagne de Rome. Seconde blessure de Merlin.

La troisième fut plus profonde. Dès que les peuples avaient pu soupçonner qu’il n’était pas le plus fort, ils l’avaient pris en dédain. Sitôt qu’ils le surent captif pour leur propre cause, ils le crurent perdu et le renièrent. De tous les points de l’horizon, il vint contre lui, non pas seulement un Judas, mais des peuples en-