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LIVRE I.

de lui, que le Créateur s’était trompé en le jetant sur cette terre indigente, qu’il était fait pour un univers meilleur. Mais ces bouffées de vanité ne duraient pas chez lui. Dans le fond, Merlin était bon, simple, sans prétention ; sa souffrance n’en était que plus vive.

Comme il flottait dans ces pensées cruelles, il entendit un concert de voix au milieu de la forêt, et l’idée singulière lui vint que ces voix si douces et emmiellées sortaient des fleurs. Bientôt la réflexion lui montra que des fleurs ne pouvaient parler, encore moins chanter. Il se coucha dans l’herbe neuve, odorante, et il crut entendre un chœur de cigales, où il démêla à peu près ce qui suit :

« Ô vous tous qui habitez les forêts et qui les faites résonner de vos voix matinales, dispersez-vous dans les bruyères, dans les chaumes sonores ; allez, annoncez que Viviane se réveille, que le doux éclair de ses yeux a réjoui la terre.

« Sentinelles vigilantes, qui vous nourrissez de rosée, allez ! éveillez partout l’abeille paresseuse. Dites, publiez, annoncez que l’herbe a poussé dans la nuit, que le froid hiver s’est enfui, que l’aurore printanière a devancé l’alouette.

« Commandez à tout ce qui vit de revêtir sa parure de printemps. Volez, publiez la saison nouvelle. Montez sur les sommets, descendez en sautillant dans les profonds abîmes ; de votre hymne strident évoquez dans les troncs caverneux des chênes, dans les fentes béantes des rochers, dans les rides de la terre, l’insecte sourd