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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Vade retrò, Satanas !

— Que dis-tu là, mon petit Merlin ? Mon enfant, mon fils premier né ! Tout ce que tu voudras, mon Benjamin ; mais, ne le prends pas sur ce ton avec moi !

Vade retrò, Satanas !

— Je t’en prie, ne me parle pas latin. Cette langue m’est insupportable ; elle fait sur moi le même effet que le bourdonnement des cloches ; elle m’ôte mes idées. Dis-moi des injures ; j’y consens, pourvu que ce soit en français. Dans cette langue, je souffre tout.

Vade retrò, Satanas !

— En voilà trop, je cède ; mais je te maudis encore ! Merlin ! c’est toi qui crucifies ton père ! »

À ces mots, l’incube se plonge dans le gouffre. Il disparaît, et les flammes errantes recommencent leurs folles danses magiques qui durent encore. Moi-même, dans une nuit étoilée, je les ai vues de mes yeux, au même endroit, en témoignage de ce que je viens de raconter.

Au moment de l’évocation de Merlin, les sommets dentelés des Apennins parurent s’abaisser et se creuser en entonnoir, comme les cercles d’airain dans la cité dolente. Les deux mers qu’ils séparent l’une de l’autre, vers Ravenne et Caprara, s’émurent et blanchirent d’écume. Telles, dans une nuit de sabbat, deux chaudières, pleines jusqu’au bord, d’herbes ensorcelées, bouillonnent sur l’âtre de la devineresse.

Merlin venait de soutenir une lutte pire, cent fois, que celle de Jacob et de l’ange. Haletant, il descend la montagne et rejoint à Taglia-Pietra ses deux compa-