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MERLIN L’ENCHANTEUR.

qu’il l’avait revu dans sa descente aux enfers : même front basané, même œil couleur de cendre, même collier d’airain. Merlin frissonne ; il eût voulu s’enfuir jusque par delà les limbes. Une puissance secrète lie ses pieds et sa langue. Tout ce qu’il put faire fut de répondre : « Je vous reconnais. »

Par un reste d’habitude d’enfance, il faillit ajouter : « Ô mon père ! » Heureusement la parole lui manqua sur les lèvres avec le souffle.

« Quelle vie est ceci, Merlin, je vous prie ? continua l’incube en branlant la tête avec autorité ? Où sont mes instructions, mes conseils ? Est-ce pour cela que j’ai tant veillé sur votre berceau ? Ingrat, pourquoi me suis-je donné la peine de t’engendrer moi-même de mon propre sang ? Que fais-tu depuis que tu respires ? Tu t’es amouraché des hommes et des peuples, tu écoutes leurs criailleries le plus sérieusement du monde. Ils avaient deux voies ouvertes. À tous propos tu leur enseignes la meilleure, et tu voudrais les y tenir claquemurés. Tu sais pourtant fort bien que celle-là ne mène personne à moi. Tu prêches les patients, amadoues les violents, amorces les maudits à l’appât de ridicules vertus. Veux-tu donc, s’il te plaît, me ruiner, me déshonorer, moi, ton père !

— Souffrez que je m’explique, interrompit Merlin en levant timidement les veux.

— Laisse-moi achever, reprit l’incube ; tu parleras après, tout à ton aise, et surtout ne me dévisage pas ainsi… Oui, voilà ce que tu fais chaque jour pour les