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MERLIN L’ENCHANTEUR.

IX

Par une belle matinée de printemps, Merlin errait sur les cimes désertes. De quelque côté qu’il portât ses pas, il se trouvait toujours au milieu du même cercle immense qu’un grand magicien traçait et refaisait autour de lui, à l’horizon, avec des landes, des rochers, des bois, des prés, des blés jaunissants, des sommets bleuâtres. Çà et là un sapin effilé en fer de lance perçait sur l’azur du ciel, à perte de vue, comme un cil noir au bord d’une grande paupière. La mélancolie, les désirs inconnus, l’aspiration vers les cimes lointaines, arrachèrent un soupir à Merlin ; las de poursuivre l’inaccessible horizon, il s’arrêta près d’une source ; ses larmes tombaient goutte à goutte dans la fontaine. Par dépit il y jetait une pierre et il suivait de l’œil, pendant de longues heures, les ondulations qui se succédaient à la surface de l’eau.

« Ma vie, disait-il, est plus vaine que ces vains cercles d’écume qui m’amusent un moment et disparaissent pour toujours ; que suis-je venu faire ici ? Hélas ! je ne suis moi-même qu’une ombre. J’aspire à tout, je ne puis rien saisir. »

Puis bientôt, passant de l’humilité à l’orgueil, il s’abandonnait à croire que ce monde n’était pas digne